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[Screenshot] Abel Aussant

L’impact des pratiques numériques sur l’accès à la culture des jeunes en France

Peux-tu te présenter en quelques mots ? Ton parcours, tes centres d’intérêt, ou encore la manière dont tu es arrivé·e à ton objet de recherche ?

Je suis actuellement doctorant au Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS) à Science Po et je suis également associé au Centre de recherche en économie et statistique (CREST) à l’ENSAE. Je travaille sous la direction de Samuel Coavoux et Philippe Coulangeon .

Auparavant j’ai étudié dans le master “Quantifier en sciences sociales” de l’ENS PSL. C’est là que j’ai été formé aux statistiques. Je suis également passé par le master de sociologie générale de l’EHESS et la licence de sociologie de Paris 8, formations dans lesquelles j’ai reçu des enseignements plus centrés sur les fondamentaux théoriques et épistémologiques de la discipline.

Mon intérêt pour la sociologie de la culture s’ancre d’abord dans ma formation initiale, très marquée par les lectures des travaux classiques de la sociologie français, ceux de Bourdieu notamment. L’appétence que j’ai ensuite développée pour l’étude des pratiques culturelles numériques est davantage liée à mes propres pratiques, ayant, depuis très jeune, passé beaucoup de mon temps libre dans différents espaces et communautés en ligne, vidéoludiques notamment. Ces expériences socialisatrices m’ont amené à me questionner sur les conséquences de la numérisation des pratiques culturelles d’une partie de la jeunesse. D’un point de vue théorique, c’est aujourd’hui l’étude des phénomènes de « métamorphose de la distinction par la culture » qui m’anime particulièrement dans mon travail de recherche.

Peux-tu nous fournir un Screenshot de ta thèse ?

J’ai choisi pour illustrer ma démarche un screenshot de la page d’accueil de l’application Pass Culture. Sur cette page, on voit un certain nombre de suggestions de biens culturels proposées aux utilisateurs dans différentes interfaces. C’est justement l’effet de ce genre de dispositifs de recommandations que j’entends étudier dans mon travail. Par ailleurs, on voit en haut à droite le logo de la république française, qui nous rappelle que le Pass Culture est une politique publique portée par le ministère de la culture. Cela me donne l’occasion de mettre en avant le fait que mon travail s’inscrit aussi dans ce qu’on appelle l’évaluation de politique publique, et plus spécifiquement dans une sociologie des politiques culturelles.

Est-ce que tu peux décrire l’objet de ta thèse ?

Ma thèse porte sur l’effet des phénomènes de numérisation des consommations sur la stratification des pratiques culturelles des jeunes. Je m’intéresse également à l’effet des politiques culturelles visant à démocratiser la culture et ayant une composante « numérique ». Je travaille plus particulièrement sur la politique du Pass Culture.

Dans quel cadre théorique tu te situes, et en quoi ta thèse est novatrice en la matière ?

Il est évident que ma démarche se place en premier lieu dans une perspective bourdieusienne. En France je me réfère par exemple à des auteurs comme Fabien Granjon, ou encore Julien Boyadjian qui analyse tous deux les pratiques numériques dans le cadre d’un paradigme issu des travaux de Bourdieu. Dans la même veine, des travaux de chercheurs scandinaves comme Magne Flemmen ou Vegars Jarness m’inspirent particulièrement.

Concernant l’étude des pratiques culturelles, une des spécificités de mon approche est de prendre pour objet principal la question des modes d’accès aux biens culturels. Je mets en évidence et m’interroge sur la stratification des usages des outils de consommation numériques. Cela permet de décaler le regard d’une approche qui interrogerait uniquement le type bien consommé (les genres, les œuvres spécifiques) pour observer plutôt la façon dont ces divers biens culturels sont consommés. « From the ‘what’ to the ‘how’» pour reprendre la formule de Jarness. Cela me permet de reconsidérer les phénomènes de massification culturelle ayant eu lieu depuis les années 90. Si un grand nombre d’œuvres extrêmement populaires peuvent en effet être qualifiées de produits culturels « omnibus », il n’en reste pas moins que la façon de les consommer et l’attitude associée à ces consommations restent fortement stratifiées et distinctives.

Par ailleurs, j’entends également utiliser des méthodes peu communes en sociologie de la culture, issue de l’économétrie, permettant de mettre en évidence de manière plus robuste les liens de causalité entre différentes pratiques. Ces méthodes, apparentée à ce qu’on appelle communément « l’inférence causale », me permettent de questionner l’effet « réel » d’un programme de subvention comme le Pass Culture sur les jeunes bénéficiaires y ayant recours (ce qui est en fait un usage classique de l’économétrie — l’évaluation de politique publique). Mais je m’en sers également pour interroger l’effet des dispositifs numériques qu’on trouve sur les plateformes d’hébergement de contenu, comme les algorithmes de recommandation ou les playlists éditorialisées. Ultimement, l’utilisation de ce type de méthode me sert à questionner les liens entre les inégalités sociales préexistantes, la diffusion des outils numériques et la reproduction des hiérarchies sociales.

Sur quelles données travailles-tu?

Je travaille principalement sur deux types de données quantitatives. D’abord des données de sondage « classiques », qu’elles soient issues de la statistique publique (enquête sur les pratiques culturelles des Français par exemple) ou d’enquête ad hoc sur les dispositifs de politique publique que j’étudie.

Je mobilise aussi des données de type « big data » issues des traces d’usages des utilisateurs de l’application Pass Culture, qui sert de plateforme au programme. Ces données sont d’une richesse exceptionnelle, mais posent des problématiques spécifiques du fait de leur nature. N’ayant pas été récoltées à l’origine à des fins de recherche scientifique, elles demandent, dans leur exploitation, un travail particulièrement important de réflexion méthodologique et théorique, ainsi qu’une connaissance fine des enjeux contextuels de leur production.

Quelques communications ou publications que tu souhaites porter à notre connaissance ?

Nous avons récemment publié un working paper en collaboration avec mon codirecteur de thèse Samuel Coavoux portant sur l’effet des plateformes de streaming sur la diversité des consommations culturelles de leurs utilisateurs. L’article s’intitule « The Netflix Omnivore. The effect of streaming platforms on cultural diversity and inequalities » https://doi.org/10.31235/osf.io/dycwz L’article est tout à fait représentatif de la démarche dans laquelle je m’inscris, c’est-à-dire l’utilisation de méthodes d’inférence causale pour traiter de questions relatives à l’effet de la numérisation des pratiques culturelles sur les phénomènes de distinction par la culture et les inégalités afférentes.

Est-ce qu’il y a quelques références incontournables ou importantes pour toi et que tu aimerais nous conseiller ?

J’ai particulièrement envie de mettre en avant l’article de Jarness que j’ai évoqué plus haut « Modes of consumption : From ‘what’ to ‘how’ in cultural stratification research. » Poetics, 53, 65-79. https://doi.org/10.1016/j.poetic.2015.08.002 Il me paraît représentatif du fécond renouvellement des théories classiques de la distinction. Ce type d’approche est particulièrement pertinente pour l’étude des pratiques culturelles émergentes de la jeunesse. C’est également ce que résument très bien des auteurs comme Flemmen, Prieur et Savage dans un article intitulé « Distinctions in the making : A theoretical discussion of youth and cultural capital. » The British Journal of Sociology, 74(3), 360-375. https://doi.org/10.1111/1468- 4446.13002 C’est dans ces perspectives contemporaines que mon travail s’inscrit.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Quentin Gervasoni (16 juillet 2024). [Screenshot] Abel Aussant. Sociologie de la Consommation et du Numérique. Consulté le 4 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/120yb


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